Conférence ayant pour titre Humanité et nécessités : Réflexion sur le capitalisme. Retrouvez ci-dessous le texte d'introduction de Jean-Michel sur le thème de sa conférence :
Le Capitaliste est celui qui sacrifie son temps à en gagner. Et le temps n'est pas l'argent ici. Le temps est cette richesse que l' "homme d'affaire" s'emploie à cultiver en vue de générer ce que les biens pensants nomment l'ultime but du capitalisme : la gloire, le pouvoir et l'argent. Pourtant ces trois choses découlent souvent non d'une volonté cupide et avide de reconnaissance mais plutôt d'un terrible désir d'entreprendre et de créer. Ces trois choses ne représentent pas l'horizon de l'entreprise capitaliste, au contraire elles constituent le moyen d'une fin supérieure.
Cette finalité supérieure ne réside pas en dehors de l'entrepreneur, il ne s'agit pas de son compte en banque ni de son aura diplomatique et social. Il s'agit de l'homme lui-même. Et devrais-je dire de l'âme. Le travail fait l'homme. L'œuvre et la vie se confonde peu à peu et le métier n'est plus ce faire-valoir que certains brandissent. Il n'est pas question de revendication sociale et moins encore de vile complaisance au sein d'une posture sociale qui confère à l'égo une apparente supériorité. Il s'agit d'entreprendre et de se faire en faisant. Une réciprocité s'opère entre le travail (c'est à dire la fonction) et l'homme lui-même. L'homme ne se définit pas tant par l'argent qu'il génère mais plutôt par l'ensemble des moyens intellectuels et spirituels qu'il a mis et met en œuvre pour construire et se construire.
Ainsi le temps gagné est d'abord une richesse humaine. C'est parce que du temps est disponible que l'entreprise sensée demeure possible. C'est parce que du temps est disponible que l'homme à la possibilité de penser et donner du sens à sa vie. Entreprendre sans la pensée ne revient-il pas à naviguer sans boussole? Comment un individu désorienté peut-il tendre vers un objectif donné?
La richesse ne réside pas tant dans le portefeuille que dans la volonté pour le remplir!
En écrivant ces mots je prends garde à ne pas laisser l'angélisme guider la plume et ne veux perdre de vue la lucidité. Je sais combien l'argent tourne les têtes et tords les cœurs, mais je sais aussi combien la vertu et la bonne volonté chez un homme est bénéfique. Tant pour lui que pour son environnement. La philosophie n'est pas incompatible avec l'entreprenariat. Il s'agit là chez moi d'une certitude. La philosophie est une pratique, un mode de vie associé à une pensée qui ne veut omettre aucunes réalités, aussi basses et aussi viles soient-elles! La lucidité peut être sombre parfois, mais elle permet toujours d'éclairer notre chemin ici-bas. Si elle fait prendre conscience de nos malheurs, elle extirpe aussi des ténèbres. Je tiens la lucidité comme une forme de salut qui, par la révélation du pire, permet le meilleur.
L'être humain a besoin de sens et je crois savoir combien la philosophie pratique aiguille l'existence. Un esprit éclairé et pragmatique empêche l'errance dans le monde des idées et peut conduire, à force de volonté, de persévérance et de patience, à l'action bonne et sensée. La pensée pour la pensée n'a jamais servi que la pensée. Celle-ci ne doit selon moi jamais être déconnectée du réel, de l'expérience, de l'action. Penser, philosopher c'est créer pour voir et agir différemment dans un monde que nous n'avons pas choisi. Mais c'est aussi savoir s'adapter. Peu d'êtres humains sont capables d'entendre une opinion qui ne correspond pas au milieu auquel ils appartiennent. Moins encore, semble-t-il, sont capable de se joindre intelligemment à autrui par nécessité d'être ensemble. La fraternité entre les hommes ne se dilue-t-elle pas aujourd'hui dans nos automatismes? J'évoque ceux affiliés à cette mécanique de vie marchande qui, tôt ou tard, finit par faire disparaître le lien désintéressé à l'autre. D'ailleurs ce lien a-t-il déjà existé?
L'alliance entre les hommes est une nécessité vitale que l'on oublie volontiers par orgueil, par suffisance. Parce que le système a inculqué la compétitivité comme la base à partir de laquelle la personne peut s'affirmer. Ainsi la solitude se répand au milieu de la foule. Le défi de notre époque n'est pas de créer un monde nouveau, il est plutôt celui d'éviter que l'humanité ne se défasse. "Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse" disait Albert Camus.
Ceux dont le cœur demeure encore teinté d'humanisme et la tête empreinte de philosophie ont un défi difficile mais noble, celui de s'adapter à ce monde robotisé ou l'argent est devenu l'horizon indépassable de chacun. Mission éprouvante mais salutaire que celle de tenter d'éviter le déclin de l'humain par l'homme.
Vouloir joindre l'ambition à l'humanisme ne tient ni de la folie, ni de l'angélisme. Mais plutôt du bon sens et d'un goût certain pour la vie. Il semble que peu ont l'oreille pour entendre et l'œil pour percevoir ce que beaucoup néglige, à savoir l'intérêt sincère et profond pour le sens de la vie. Trop préoccupé par des buts matériels et des ambitions égocentriques, les individus foncent vers leurs objectifs en considérant leur semblable comme un moyen, non comme une fin. Le but primant sur le chemin, beaucoup prennent les autres pour un objet utile et concourent à la déshumanisation de la société. Ceci généralement à leur insu...trop aveuglés par une cause égoïste et pécuniaire.
Je crois, sans omettre les nécessités matérielles et sans verser dans l'utopie, que la plus grande richesse qu'il nous soit offert est la vie. Et qu'est-ce que la vie sinon le corps, la conscience et le temps? Que voulons-nous faire de ce moment ensemble ici, maintenant?
Ces paroles sont bien belles et les propos bien gentils me direz-vous. Vous penserez peut être qu'une douce naïveté guide la plume et que celle-ci omet la dure réalité... Mais s'il vous est possible de vous détromper, s'il vous est possible de douter de votre jugement, je vous inviterai à prendre conscience que ces mots ne sont pas le fruit d'un doux rêveur mais plutôt d'un entrepreneur en bâtiment. Et qu'à ce titre, aussi modeste soit-il, il est difficilement concevable de méconnaître le dur sens des réalités. Ce sont les épreuves de la vie qui paradoxalement attendrissent le regard que l'on porte sur le monde comme sur ceux qui nous entourent. N’est-ce pas au contraire le confort et l'opulence qui mène vers la négligence de nos semblables?
Du haut de ma petite expérience ici-bas, j'ai appris que l'indifférence est une suffisance dépourvue d'humanité.
S'il fallait tenter de définir cette ambition que je tente de dépeindre ici, je dirai qu'elle est celle de faire cohabiter amour, éthique et argent. Projet ambitieux pour ne pas dire utopique en ce monde. "Viser la lune pour atteindre les étoiles" est sans doute l'expression appropriée pour caractériser cette volonté apparemment folle et pourtant mûrement réfléchie. Mais une belle pensée ne fait pas le bon geste, au mieux elle l'amorce et l'oriente. Quand agirons-nous? Et si le bon jour était ce jour?